Dvar Torah pour vendredi 19 Cheshvan 5784 3 novembre 2023

Vayéra

Commentaires rédigés par le Gaon Rabbi Zévadia COHEN Chlita,
Chef de tous les tribunaux rabbiniques de Tel Aviv,
pour Halacha Yomit

Nous allons lire cette semaine le passage qui relate la « ‘Akédatt Its’hak » (faussement traduit par « Sacrifice d’Its’hak », alors que la traduction la plus juste est « Ligature d’Its’hak », puisqu’il ne fut finalement pas sacrifié, comme on le sait), passage de la Torah dans lequel Hachem dit à Avraham : « Prend s’il te plaît ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Its’hak, et offre-le en sacrifice là-bas, sur l’une des montagnes que je t’indiquerai. »
En effet, Avraham se lève tôt le matin, il se rend au Mont Morya où il ligote Its’hak.
Il saisit ensuite le couteau afin de sacrifier son fils. C’est à cet instant critique, l’instant avant qu’Avraham sacrifie son fils, que l’ange d’Hachem arrive et dit à Avraham :
« Ne porte pas la main sur le jeune homme, et ne lui fais strictement rien, car je sais à présent que tu es quelqu’un qui craint D.ieu … Avraham leva ses yeux, il vit qu’un bélier s’était pris les cornes dans un buisson. Avraham alla et pris le bélier. Il l’offrit en sacrifice à la place de son fils. L’ange d’Hachem appella Avraham une nouvelle fois depuis le ciel et dit : « Je jure par Moi-Même, parole d’Hachem, que puisque tu as agi ainsi et tu n’as pas épargné ton fils, ton unique, je te bénirai et je multiplierai ta descendance comme les étoiles du ciel … »

L’interrogation est ici inévitable : Pourquoi l’ange d’Hachem bénit Avraham seulement à la deuxième fois où il se dévoile à lui, lorsqu’Avraham a sacrifié le bélier ? Pourquoi ne l’a-t-il pas béni la première fois où il s’est dévoilé à lui, lorsqu’il était sur le point de sacrifier Its’hak, lorsqu’il lui a dit : « Ne porte pas la main sur le jeune homme … » ? Avraham méritait pourtant déjà la bénédiction à ce moment précis, après avoir fait preuve d’autant d’abnégation ! Est-ce que le bélier est plus important qu’Its’hak ?! Avraham mérite-t-il la bénédiction de la multiplication de sa descendance comme les étoiles du ciel seulement après avoir sacrifié le bélier ?!

Afin de comprendre, nous devons citer un fait qui s’est passé à Jérusalem il y a environ 80 ans, avant la création de l’Etat d’Israël, à l’époque où le pays était encore sous mandat britannique. Le Gaon Rabbi Arié LEVIN z.ts.l était le Rav des prisonniers juifs. Il rendait visite aux malades et aux prisonniers dans les hôpitaux et dans les prisons, afin de les réconforter et d’être avec eux dans les moments difficiles.
Une nuit, les britanniques avaient imposé un couvre-feu, et il était interdit aux habitants de se trouver dans les rues de la ville.
Rabbi Arié LEVIN n’attacha pas d’importance au couvre-feu, et il sorti afin de rendre visite à un prisonnier juif détenu à « Kichlé » (prêt de la Porte de Jaffa dans la vielle ville de Jérusalem), qui était à cette époque la prison de la police britannique à Jérusalem.

Lorsqu’il était en chemin vers la porte de Jaffa, deux policiers britanniques l’arrêtèrent.
L’un d’entre eux était juif et l’autre était un non-juif. Le policier juif britannique – qui connaissait Rav Arié ainsi que ses actes de bonté -  voulut l’autoriser à passer. Il expliqua à son collègue non-juif que le vieux Rav n’a aucune intention hostile à l’égard des autorités, et son déplacement a pour seul objectif le réconfort de gens qui traversent des moments difficiles, des malades et des malheureux.
Mais le policier non-juif n’accepta pas, et il ordonna au Rav de rentrer chez lui.
Rav Arié rebroussa chemin, mais il remarqua un sentier qui contournait par une barrière brisée. Il essaya de passer par là, mais les deux policiers l’attrapèrent de nouveau en voyant le vieux Rav qui essayait – avec ses faibles forces - d’escalader la barrière afin d’arriver à Kichlé. A cet instant, le policier non-juif se précipita – à la stupéfaction du Rav et du policier juif – et dit au Rav : « Monsieur le Rav, je vous en prie, allez-y ! Rendez-vous où bon vous semble ! »
Le policier juif, surpris, demanda à son collègue non-juif :
« Qu’est ce qui t’a mené à changer d’avis ?! »
Le policier non-juif répondit :
« Au début, je pensais que le Rav agissait dans un but lucratif, ou pour obtenir un profit quelconque, et c’est pourquoi je ne l’ai pas autorisé à passer. Mais à présent, j’ai vu à quel point il était prêt à se sacrifier, j’ai vu le risque qu’il était prêt à courir afin de réussir à tout prix à visiter le prisonnier. J’ai compris que la chose était vitale pour lui et que ses intentions étaient purement dirigées vers le Ciel, car il pouvait parfaitement s’exempter en disant que c’était trop dangereux et que cela ne dépendait pas de lui. Mais constatant qu’il est prêt à mettre sa vie en danger pour un autre juif, qu’il ne connait probablement pas, et qu’il ne renonce pas à l’idée de la visite, cela ne peut être qu’un saint homme, et c’est pourquoi je l’ai autorisé à passer. »

A la lueur de ces choses, nous comprenons l’objet de notre question.
Avraham reçoit l’ordre d’offrir son fils en sacrifice, et il s’exécute.
Mais au dernier instant, l’ange lui dit : « Ne porte pas la main sur le jeune homme … ». N’importe quel autre homme à sa place se serait hâté de prendre son fils et de rentrer immédiatement chez lui, sans attendre un instant supplémentaire sur le Mont Morya, par crainte qu’on lui donne un autre ordre.
Mais Avraham reste sur place. Il ne dit pas : « Beni soit Celui qui m’a exempté ».
Au contraire, il essai d’offrir un autre sacrifice, au moins un bélier.
Ici, Avraham montre qu’il n’accomplit pas les Mitsvot de manière forcée, et en constatant qu’il est exempt, il retourne à la routine.
Non ! Bien au contraire ! Même s’il n’est plus soumis à l’ordre d’offrir son fils Its’hak en sacrifice, sa volonté d’offrir un sacrifice reste intacte !
Avraham dévoile ainsi sa volonté et son amour à accomplir la volonté d’Hachem de façon véritable ! C’est donc à ce moment précis - et non avant – qu’il mérite la bénédiction de l’ange d’Hachem !

Nous apprenons donc le moyen de vérifier si l’on accomplit la volonté d’Hachem par amour ou bien de manière forcée : le test se fait lorsqu’on est exempt d’une Mitsva. Par exemple, lorsqu’on est malade ou lorsqu’on est confronté à un cas de force majeure qui nous exempt d’une Mitsva. Va-t-on être heureux et dire « Beni soit Celui qui nous a exempté », ou bien allons-nous ressentir de la peine en se disant : « Je suis certes exempt, mais j’ai perdu une Mitsva ! » ?! 

Chabbat Chalom