Dvar Torah pour vendredi 16 Cheshvan 5786 7 novembre 2025

Vayéra - L’habitude et ses dangers

Commentaires rédigés par le Rav David PITOUN, pour Halacha Yomit

וַה' הִמְטִיר עַל-סְדֹם וְעַל עֲמֹרָה גָּפְרִית וָאֵשׁ מֵאֵת ה' מִן הַשָּׁמָיִם. וַיַּהֲפֹךְ אֶת הֶעָרִים הָאֵל וְאֵת כָּל הַכִּכָּר, וְאֵת כָּל יֹשְׁבֵי הֶעָרִים וְצֶמַח הָאֲדָמָה. (בראשית יט-כד, כה)
Hachem fit pleuvoir sur Sédom et sur ‘Amora du soufre et du feu, Hachem lui-même, du haut des cieux. II détruisit ces villes en les renversant, toute la plaine, tous les habitants de ces villes ainsi que la végétation du sol. (Bérechit 19-24, 25)

Rachi : II détruisit ces villes en les renversant : Elles se trouvaient toutes les quatre, [Sédom, ‘Amora, Adma et Tsévoyim], sur un même rocher (Midrach Tan‘houma Vayéra 22), et Il les a retournées de haut en bas, ainsi qu’il est écrit :
בַּחַלָּמִישׁ, שָׁלַח יָדוֹ; הָפַךְ מִשֹּׁרֶשׁ הָרִים. (איוב כח-ט)

Il porte la main sur le granit, et Il remue les montagnes jusqu’à leur racine. (Iyov 28-9).

Le Gaon et Tsaddik Rabbi Yossef SALENT z.ts.l explique dans son livre Beer Yossef que la destruction des villes « de haut en bas » exclusivement, sans se contenter d’une destruction par le feu et le souffre, provient du principe de « Mida Kénégued Mida » (mesure pour mesure).
En effet, l’une des bases sur lesquelles repose l’univers est la justice.
Or, les gens de ces villes ont « renversé » la justice, comme nos maitres nous le décrivent dans la Guémara Sanhédrin (109) :
Celui qui possédait un taureau était chargé de faire paitre tous les troupeaux de la ville durant un jour. Celui qui n’en possédait pas, était chargé de faire paitre tous les troupeaux de la ville durant deux jours.
Celui qui avait traversé le fleuve par la passerelle (pour entrer dans la ville) devait payer un Zouz. Celui qui avait emprunté un autre chemin, devait payer deux Zouz.
Si quelqu’un avait blessé une personne, la victime devait payer à l’agresseur pour le fait de lui avoir pratiqué une saignée (« bénéfique » …).
Ainsi que d’autre lois en vigueur dans ces villes, toutes aussi contraires à la justice et à la droiture.

Ainsi, puisqu’ils avaient « renversé » le jugement et la justice sur lesquels repose l’univers, leurs villes furent renversées de haut en bas, et leur actions furent jugées mesure pour mesure.

Mais cependant, on peut émettre une remarque :
Après le déluge, Hachem déclara :
לֹא-אֹסִף לְקַלֵּל עוֹד אֶת הָאֲדָמָה בַּעֲבוּר הָאָדָם... וְלֹא אֹסִף עוֹד לְהַכּוֹת אֶת כָּל חַי כַּאֲשֶׁר עָשִׂיתִי.  (שם ח-כא)

Je ne continuerais pas à maudire la terre à cause de l’homme … Je ne continuerais pas à frapper tout être vivant comme je l’ai fait. (Bérechit 8-21)
Or, dans les propos de Rachi sur Bérechit 9-9, nous constatons qu’Hachem diminua après le déluge la force de domination de l’homme sur la création, afin qu’il n’ait pas la possibilité de détruire la création par ses actes, et ainsi, il ne sera pas justifié que la terre soit punie et détruite pour la faute de l’homme.
On peut donc se demander :
Pourquoi Hachem agit-il ainsi envers la terre de Sédom et de ‘Amora, en détruisant - à cause des fautes de l’homme et de ses actes – toutes les terres et toute la région, ainsi que la végétation du sol ?

Mais la Guémara Sanhédrin (109a) explique :
Nos maîtres enseignent : Les gens de Sédom n’ont été pris d’orgueil que par la bonté dont Hachem les avait gratifiés. Qu’est-il écrit à leur sujet ?
אֶרֶץ מִמֶּנָּה יֵצֵא-לָחֶם וְתַחְתֶּיהָ, נֶהְפַּךְ כְּמוֹ אֵשׁ. מְקוֹם סַפִּיר אֲבָנֶיהָ וְעַפְרֹת זָהָב לוֹ. נָתִיב לֹא-יְדָעוֹ עָיִט וְלֹא שְׁזָפַתּוּ עֵין אַיָּה. לֹא הִדְרִיכוּהוּ בְנֵי שָׁחַץ לֹא-עָדָה עָלָיו שָׁחַל. (איוב כח- ה, ו, ז, ח)

La terre d'où sort le pain, ses entrailles sont retournées comme par le feu. Ses pierres sont des nids de saphirs, et là s'offre au regard la poudre d'or. On y arrive par un chemin que l'oiseau de proie ne connaît pas, que l'œil du vautour ne distingue point. Les fauves altiers ne l'ont pas foulé, le lion ne l'a pas franchi. (Iyov 28-5, 6, 7, 8)

Ils se dirent : « Puisque nous habitons une terre d’où sort le pain et dont les pierres sont des nids de saphirs, pourquoi nous encombrer de voyageurs et de passants qui ne viendront que pour gaspiller notre richesse ?! Venons et faisons oublier aux voyageurs l’accès à nos villes … »

Et c’est ainsi qu’ils érigèrent des lois aussi abominables, et qu’ils nommèrent des juges impies pour faire respecter de telles lois et pour punir sévèrement toute personne qui les « enfreindrait », comme le fait tragique raconté par la Guémara (ibid.) au sujet d’une jeune fille qui procurait en secret du pain à un pauvre en le dissimulant dans sa cruche. Lorsque la chose fut dévoilée, les gens de la ville lui enduisirent le corps de miel et l’attachèrent à la muraille. La jeune fille mourut des piqures des abeilles.

Tout ceci, afin que personne ne vienne s’installer parmi eux et profite de leur richesse.

Selon tout cela, nous pouvons dire que puisque toute leur perversion ne provenait que de la terre si fertile qu’ils possédaient, qui a aveuglé leurs yeux, et qui a fini par influer sur leurs actes. Hachem abattit sa colère sur eux et sur leur terre.

De plus, nous pouvons constater que la faute des gens de Sédom fut beaucoup plus grande que celle des gens de la génération du déluge.
En effet, la génération du déluge fut punie principalement à cause du vol, et chacun s’adonnait au vol au gré de sa volonté et de ses désirs. Mais aucune loi n’avait été érigée pour « légaliser » le vol, et à fortiori, personne n’était punit pour ne pas s’être adonné au vol !!

Ce qui n’est pas le cas des gens de Sédom et ‘Amora où le vol et l’iniquité était légitimés par la « loi du pays » !
Chacun était tenu de marcher et de se comporter selon ces lois immorales, et celui qui les « transgressait » se voyait infliger des punitions très sévères, et parfois même la condamnation à mort.

Ils s’habituèrent tellement à ces lois immondes, au point où le poids de ces lois influa sur leurs personnalités – même si à l’origine ces lois avaient été érigées pour préserver leur terre si riche, afin de dissuader les étrangers de s’y installer – car la cruauté devint chez eux une nature.

Par la force de ces lois et de ces usages, ils devinrent tous cruels par nature.

Qui plus est, ils furent tous pris de passion pour « venger » l’audace de Lott qui « osa » introduire des invités (les 3 anges) chez lui.
Et même si cela ne les touchait pas personnellement et que leurs richesses personnelles n’en était pas atteinte, malgré tout, par « solidarité pour le respect des lois du pays », ils entourèrent tous la maison de Lott, du plus jeune au plus vieux, tout le peuple, d’un bout de la ville à l’autre, car il n’y avait pas le moindre juste parmi eux (Rachi).

Nous pouvons apprendre de tout cela que même lorsque la chose peut paraitre complètement étrangère à la nature et à toute autre valeur, même si à la base la chose inspire la honte à celui qui crée et qui érige une loi aussi abjecte que celles de Sédom (comme celle où les juges imposaient à la victime d’une agression de payer à son agresseur une somme d’argent pour lui avoir pratiqué une saignée), malgré tout, lorsqu’on s’habitue à cela et qu’on réalise de telles choses, quelle que soit la raison initiale, avec la récidive de tels actes, l’habitude se transforme en nature, et même l’intellect finit par approuver totalement.

De plus, on en arrive même à ne plus supporter que d’autres n’adoptent pas de tels actes et de tels usages, comme nous le voyons au sujet des gens de Sédom où toute la ville - sans exception - vint entourer la maison de Lott, « du plus jeune » - même si l’habitude des jeunes enfants est de s’adonner à des jeux et à des amusements – « au plus vieux » - qui ne pouvaient même plus rester couchés sur leurs lits en sachant qu’un habitant de la ville avait « osé enfreindre la loi » en pratiquant l’hospitalité !

Voilà donc la conséquence catastrophique de l’habitude !!
En s’accoutumant aux mauvaises actions, on laisse l’habitude se transformer en nature !!
Une telle chose nous apprend à quel point nous devons faire preuve de vigilance et d’éloignement vis-à-vis de ce phénomène.

Chabbat Chalom !